jeudi 7 septembre 2017

La véritable bombe du BRICS



Poutine révèle le concept du «monde multipolaire équitable» dans lequel les contrats pétroliers pourraient contourner le dollar américain et être échangés avec du pétrole, du yuan et de l’or
Le sommet annuel du BRICS à Xiamen – ville dont le président Xi Jinping fut le maire – ne pouvait intervenir dans un contexte géopolitique plus incandescent.

Encore une fois, il est essentiel de garder à l’esprit que le noyau actuel du BRICS est le «RC»; le partenariat stratégique Russie-Chine. Ainsi, dans l’échiquier de la péninsule coréenne, le contexte du RC – avec les deux pays partageant les frontières avec la RPDC – est primordial.
Pékin a imposé un veto définitif à la guerre – dont le Pentagone est très conscient.
Le sixième test nucléaire de Pyongyang, bien qu’il ait été planifié à l’avance, n’a été effectué que trois jours après que deux bombardiers stratégiques US-B-1B nucléaires aient mené leur propre «test» accompagnés de quatre F-35B et quelques F-15 japonais.
Quiconque est familier avec l’échiquier de la péninsule coréenne savait qu’il y aurait une réponse de la RPDC à ces tests à peine déguisés de «décapitation».
Donc, c’est pour faire suite à la seule proposition qui ait été posée sur la table : le “double gel” du couple RC. Gel des exercices militaires américains/japonais/sud-coréens; gel du programme nucléaire de Corée du Nord; la diplomatie prend le relais.
Au lieu de cela, la Maison Blanche a évoqué des « capacités nucléaires » sinistres comme mécanisme de résolution du conflit.
La véritable bombe du BRICS
: Le président chinois Xi Jinping et le
Premier ministre indien Narendra Modi , le 4 septembre 2017.

L’extraction de l’or en Amazonie, ça vous dit ?

Sur le front du plateau de Doklam au moins, New Delhi et Beijing ont décidé, après deux mois de tension, un «désengagement rapide» de leurs troupes frontalières. Cette décision était directement liée à l’approche du sommet BRICS – où l’Inde et la Chine ne pouvaient l’un ou l’autre que perdre la face de manière dramatique.
Le Premier ministre indien Narendra Modi avait déjà essayé de renverser la vapeur de façon similaire avant le sommet BRICS à Goa l’année dernière. Ensuite seulement, il prit une position catégorique pour que le Pakistan soit déclaré «État terroriste». Le RC s’y était fermement opposé.
Modi a également ostensiblement boycotté le sommet de l’entente Belt and Road Initiative (BRI) à Hangzhou en mai dernier, essentiellement à cause du corridor économique sino-pakistanais (CPEC).
L’Inde et le Japon rêvent de contrer la BRI avec un projet semblable de connectivité; le corridor de croissance Asie-Afrique (AAGC). Croire que l’AAGC, dont l’inspiration, l’esprit, la portée et les fonds viennent en partie de la BRI – pourrait lui voler la vedette, serait entrer dans le domaine du vœux pieux.
Pourtant, Modi a émis des signes positifs à Xiamen; « Nous sommes en mode mission pour éradiquer la pauvreté; pour assurer la santé, l’assainissement, les compétences, la sécurité alimentaire, l’égalité entre les sexes, l’énergie, l’éducation. « Sans cet effort de mammouth, les grands rêves géopolitiques de l’Inde sont mort-nés »
Le Brésil, pour sa part, est plongé dans une tragédie sociopolitique gigantesque, menée par l’usurpateur Temer, une non-entité corrompue de manière Dracula-esque. Le président du Brésil, Michel Temer, a déclaré à Xiamen être impatient de publier « ses » 57 principales privatisations en cours pour les investisseurs chinois – complétées par l’exploitation minière aurifère dans une réserve naturelle amazonienne de la taille du Danemark. Ajoutez-y de l’austérité massive des dépenses sociales et de la sévère législation anti-travail, et l’on a l’image du Brésil dirigé actuellement par Wall Street. Le nom du jeu, c’est profiter du magot, et vite.
La nouvelle Banque de développement du BRICS (NBD) – une contrepartie de la Banque mondiale – est, comme on pouvait le prévoir, ridiculisée dans tout le Beltway. Xiamen a montré comment le NBD commence seulement à financer les projets du BRICS. C’est une erreur de la comparer avec la Banque asiatique d’investissement dans l’infrastructure (AIIB). Elles investiront dans différents types de projets – l’AIIB étant plus axée sur la BRI. Leurs objectifs sont complémentaires.

‘BRICS Plus’ ou l’éclatement

Sur le plan mondial, le BRICS constitue déjà une nuisance majeure pour l’ordre unipolaire. Xi a déclaré poliment à Xiamen que « nous, les cinq pays, [devrions] jouer un rôle plus actif dans la gouvernance mondiale ».
Et, juste après, Xiamen a introduit des «dialogues» avec le Mexique, l’Égypte, la Thaïlande, la Guinée et le Tadjikistan; Cela fait partie de la feuille de route pour le « BRICS Plus » – la conceptualisation de Beijing, proposée en mars dernier par le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, pour élargir son partenariat/coopération.
Une autre instance du « BRICS Plus » peut être détectée lors du lancement éventuel, avant la fin de 2017, du Partenariat économique global régional (RCEP) – succédant au défunt TPP.
Contrairement au déluge de racontars que l’on trouve en Occident, le RCEP n’est pas «conduit» par la Chine. Le Japon en fait partie – de même que l’Inde et l’Australie aux côtés des 10 membres de l’ASEAN. La question brûlante est de savoir quel genre de jeux New Delhi pourrait jouer pour paralyser le RCEP en parallèle avec le boycott de la BRI.
Patrick Bond à Johannesburg a développé une critique importante, arguant que des «forces économiques centrifuges» étaient en train d’émietter le BRICS, grâce à la surproduction, à la dette excessive et à la dé-mondialisation. Il interprète le processus comme «l’échec du capitalisme centripète voulu par Xi».
Il ne doit pas nécessairement être ainsi. Ne sous-estimez jamais le pouvoir du capitalisme centripète chinois, en particulier lorsque la BRI change de braquet.

Voici la triade pétrole/yuan/or

C’est au moment où le président Poutine prend la parole que le BRICS dévoile sa véritable bombe. Géopolitiquement et géo-économiquement, l’accent est mis sur «un monde multipolaire équitable» et «contre le protectionnisme et les nouvelles barrières dans le commerce mondial». Le message est clair.
Le changement des règles du jeu en Syrie – où Pékin soutenait silencieusement mais fermement Moscou – devait être évoqué; « C’est en grande partie grâce aux efforts de la Russie et d’autres pays concernés que des conditions ont été créées pour améliorer la situation en Syrie ».
Sur la péninsule coréenne, il est clair que RC pense à l’unisson; « La situation se trouve au bord d’un conflit à grande échelle ».
Le jugement de Poutine est aussi cinglant que la solution possible proposée par RC est saine; « Mettre la pression sur Pyongyang pour arrêter son programme de missiles nucléaires est mal avisé et futile. Les problèmes de la région ne devraient être réglés que par un dialogue direct de toutes les parties concernées sans conditions préalables « .
Le concept d’ordre multilatéral de Poutine et Xi est clairement visible dans la large Déclaration de Xiamen, avec les propositions de processus de paix et de réconciliation nationale «menée par les Afghans et appartenant aux Afghans», incluant le format de consultations de Moscou et le « Cœur du processus Asie-Istanbul ».
C’est le code d’une solution afghane asiatique (et non occidentale) négociée par l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), dirigée par le RC, et dont l’Afghanistan est un observateur et un futur membre à part entière.
Et puis, Poutine assène l’argument décisif ; « La Russie partage les préoccupations des pays du BRICS concernant l’iniquité de l’architecture financière et économique mondiale, qui ne tient pas compte du poids croissant des économies émergentes. Nous sommes prêts à collaborer avec nos partenaires pour promouvoir les réformes de la régulation financière internationale et surmonter la domination excessive d’un nombre limité de monnaies de réserve « .
«Pour surmonter la domination excessive d’un nombre limité de monnaies de réserve», c’est la façon la plus polie de préciser ce dont le BRICS discute depuis des années; comment contourner le dollar américain, ainsi que le pétrodollar.
Pékin est prêt à mettre la barre plus haut. Bientôt, la Chine lancera un contrat à terme de pétrole brut évalué en yuan et convertible en or.
Cela signifie que la Russie – ainsi que l’Iran, l’autre élément clé de l’intégration d’Eurasie – peuvent contourner les sanctions américaines en échangeant l’énergie dans leurs propres devises ou en yuan. Ce qui est intrinsèque dans tout cela c’est un véritable gagnant-gagnant chinois; le yuan sera entièrement convertible en or sur les échanges à Shanghai et à Hong Kong.
La nouvelle triade du pétrole, du yuan et de l’or est en fait une gagnant-gagnant-gagnant. Aucun problème, si les fournisseurs d’énergie préfèrent être payés en or physique au lieu de yuans. Le message clé est que le dollar américain est contourné.
Le couple RC – via la Banque centrale de Russie et la Banque populaire de Chine – a développé des swaps de roubles-yuans depuis un bon moment déjà.
Une fois que cela aura dépassé le BRICS pour aspirer les membres de «BRICS Plus» et ensuite tout le monde du Sud, la réaction de Washington sera obligatoirement nucléaire (en espérant que ce ne soit pas au sens littéral).
La doctrine stratégique de Washington a décidé que le couple RC ne devrait en aucun cas être autorisé à être prépondérant sur la masse continentale eurasienne. Pourtant, ce que le BRICS a en magasin géo-économiquement ne concerne pas seulement l’Eurasie – mais l’ensemble du monde du Sud.
Des sections du Parti de la guerre à Washington qui comptaient instrumentaliser l’Inde contre la Chine – ou contre le RC – pourraient avoir un réveil brutal. Autant le BRICS fait face actuellement à diverses vagues de turbulences économiques, autant la feuille de route audacieuse à long terme, bien au-delà de la Déclaration de Xiamen, est en place plus que jamais.
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Traduction : AvicRéseau International