lundi 4 juillet 2016

Merci aux sanctions : la Russie est maintenant la reine du blé, et les OGM y sont interdits !

L’un des commentaires les plus souvent entendus de la bouche des économistes traditionnels occidentaux, est que l’économie russe est trop dépendante des exportations d’énergie et ne peut pas être compétitive dans des domaines autres que l’exportation de matières premières de base.
Alors que les exportations de pétrole et de gaz restent une source essentielle de revenus pour l’état, elle est loin d’être la seule. En raison des sanctions économiques des États-Unis et de l’UE visant le secteur énergétique de la Russie en 2014, le Kremlin a riposté, au mois d’août de la même année, avec des sanctions sur une large gamme de produits alimentaires d’importation de l’UE et des États-Unis. Quelques mois plus tard, en novembre 2015, après que la Turquie a abattu un jet russe dans l’espace aérien syrien, Moscou a également interdit les principales importations de produits alimentaires en provenance de Turquie, en particulier les tomates et les concombres. La forte réduction des importations de produits alimentaires et des incitatifs gouvernementaux sélectifs à l’agriculture ont entraîné une augmentation spectaculaire de la production agricole russe.
Avant l’interdiction des importations russes, 40% de toutes les ventes au détail de produits alimentaires en Russie provenaient des importations. Tout, sur les étals des supermarchés, depuis les tomates jusqu’aux poulets, était susceptible d’avoir été importé. Les marques multinationales telles que Nestlé, Kraft, Danone étaient partout. Les Russes ont oublié, pour l’essentiel, le goût original de leurs propres aliments. L’agro-industrie occidentale était bien partie pour noyer la production nationale de denrées alimentaires de qualité sous des importations bon marché. Cela a maintenant changé de façon spectaculaire, dans le court laps de temps de moins de deux ans. Aujourd’hui, l’agriculture russe connaît une renaissance calme et spectaculaire, une nouvelle naissance en fait.
Le président Vladimir Poutine, dans son discours annuel présidentiel à l’Assemblée fédérale le 3 décembre 2015, a annoncé l’objectif national de l’autosuffisance alimentaire dans les quatre ans, d’ici à 2020. Cela signifie remplacer complètement 40% de la consommation alimentaire en six ans. Et ce qui est remarquable, est que cet objectif aujourd’hui semble modeste, pour dire le moins.
Après avoir introduit les interdictions d’importation de produits alimentaires à l’encontre de la Turquie en novembre 2015, le président Poutine a déclaré : «La Russie est en mesure de devenir le plus grand fournisseur au monde de produits alimentaires sains, écologiquement propres et de haute qualité nutritionnelle, que les producteurs occidentaux ne fournissent plus depuis longtemps.» L’année dernière, la Russie a également annoncé une interdiction totale de plantation de cultures OGM ou d’importation de produits OGM de l‘Ouest.
En conséquence de la combinaison des interdictions et des mesures pour augmenter la production alimentaire nationale, la Russie a diminué ses achats internationaux de produits alimentaires d’environ 40% depuis 2013, ceux-ci ne s’élèvent plus qu’à $26,5 milliards à la fin de 2015.

Premier producteur mondial de blé 

Aujourd’hui, la Fédération de Russie est l’un des leaders mondiaux pour l’exportation de produits agricoles. La valeur totale des exportations en 2015, vers quelque 140 pays, a été estimée à $20 milliards, soit $5 milliards de plus qu’en 2014, représentant une augmentation de plus d’un tiers, après un an de sanctions. Ce montant dépasse de 25% les recettes d’exportation d’armes et un bon tiers des bénéfices de l’exportation de gaz naturel.
Beaucoup ont l’image d’un système alimentaire soviétique inefficace et obsolète, avec des fermes collectives géantes et les producteurs non motivés. Ce modèle a disparu depuis longtemps. Aujourd’hui, 70% de toutes les terres agricoles russes sont privées. La principale forme de privatisation au cours des années 1990 a été la distribution des terres aux anciens employés des fermes collectives d’État. Depuis lors, la plupart des terres, en particulier les riches terres du sol noir, le tchernoziom, du sud de la Russie près de la mer Noire, est officiellement sous statut de propriété privée.
Avec une partie des sols les plus riches en terre noire dans le monde, la Russie, avec les incitations appropriées, a été la championne dans l’augmentation considérable de sa production. 
Elle englobe une des deux seules ceintures de sol noir dans le monde, connues sous le nom de ceintures de tchernoziom. Cette ceinture va de la Russie du Sud jusqu’en Sibérie, à travers les districts de Kursk, Lipetsk, Tambov et Voronezh. Les sols contiennent un pourcentage élevé d’humus, des acides phosphoriques, du phosphore et de l’ammoniac, ils sont très fertiles et fournissent un rendement agricole élevé. Une autre ceinture de tchernoziom s’étend du sud de la Russie vers l’Ouest : le nord de l’Ukraine et les Balkans, le long du Danube.
L’an passé, la récolte russe de blé a dépassé celle des États-Unis, faisant ainsi de la Russie le plus grand exportateur au monde – une étape. Elle a également bénéficié des rendements exceptionnels du maïs, du riz, du soja et du sarrasin. Les principaux acheteurs de blé et d’orge russe sont l’Égypte, l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Azerbaïdjan, le Yémen, la Libye, le Nigeria, l’Afrique du Sud et la Corée du Sud.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les exportations agricoles des États-Unis ont été considérées comme un secteur stratégique. Aujourd’hui, suite à des décennies d’utilisation de produits chimiques lourds et de méthodes d’agro-industrie intensive, les grandes fermes des États-Unis dans des endroits tels que le Kansas, sont confrontées à un grave épuisement des sols et à la mort des micro-organismes vitaux. Le rendement d’une récolte ne remplace pas la qualité, et ici les céréales russes bio sont en train de devenir la principale force sur les marchés mondiaux des céréales.
La Russie permet également aujourd’hui la location des terres agricoles aux étrangers. Le gouvernement est en discussion avec des groupes alimentaires asiatiques, en Chine et en Thaïlande, pour l’aider à investir et à moderniser les secteurs clés tels que la production laitière. Le Fonds russe d’investissements directs (RDIF) dispose d’une somme de $2 milliards, avec la Chine, pour investir dans des projets agricoles. Il a également formé, récemment, une coentreprise avec CP, un Groupe thaïlandais, pour construire le plus grand complexe laitier intégré de Russie. Il travaille également avec l’Égypte pour créer une plate-forme d’exportation des céréales russes par le canal de Suez.
Il faut noter que plusieurs oligarques russes, plutôt que de dépenser leur richesse hors du pays en investissant dans l’immobilier à Londres, dans des clubs de football ou d’autres projets qui ne font rien pour aider à construire l’économie de la Russie, investissent maintenant de grosses sommes dans l’agro-alimentaire russe. Les incitations fiscales et autres mesures que le gouvernement a mises en place rendent l’investissement dans l’agriculture extrêmement rentable. Evgenia Tyurikova, à la tête de la banque privée filiale de la banque d’état Sberbank, la plus importante de Russie, a récemment déclaré à Bloomberg : «Les deux investissements les plus attirants pour les russes riches sont les terres agricoles et les hôtels européens. Cette tendance est tout à fait nouvelle.»
Le mois où Poutine a déclaré l’objectif d’autosuffisance alimentaire pour 2020, en décembre de l’année dernière, un oligarque russe, Vladimir Yevtushenkov, à travers sa holding AFK Sistema, a acheté l’énorme complexe agricole Yuzhny, avec des serres de la taille de 2 300 terrains de football entre la mer Noire et la mer Caspienne. Les plantes, principalement les tomates et les concombres, profitent de l’eau pure de la fonte des glaces du mont Elbrouz à proximité. Elles sont cultivées par millions et pour l’essentiel transportées par camion jusqu’à Moscou, un voyage de 18 heures. Sistema a dépensé environ 9 milliards de roubles pour l’expansion agricole l’an dernier et est maintenant à la recherche de plus de terres à acheter, pour devenir l’un des cinq premiers producteurs de lait en Russie.
L’entreprise Ros Agro Plc, qui  produit du sucre et de la viande, détenue par le milliardaire Vadim Moshkovich, a obtenu 3 milliards de roubles ($46 millions) d’aide de l’État. Dans le cadre du programme gouvernemental pour encourager l’investissement, la société n’a pas payé de taxe sur les bénéfices, contribuant ainsi à augmenter sa marge bénéficiaire nette jusqu’à 33%, plus encore que Lukoil. D’autres oligarques se tournent significativement vers la construction d’un secteur agro-alimentaire moderne, bio et rentable, notamment Andrei Guryev avec la société d’engrais PhosAgro OJSC, Samvel Karapetyan magnat de l’immobilier et le dirigeant de United Co.Rusal, Oleg Deripaska.
La prochaine étape vers l’objectif d’auto-suffisance alimentaire russe est d’exploiter environ 40 millions d’hectares de terres agricoles oisives, en grande partie abandonnées lors de l’effondrement de l’économie dans les années Eltsine en 1990. Ces terres en friche représentent la superficie de l’Irak. Poutine a exhorté l’État à envisager de donner certaines d’entre elles – qui lui appartiennent – pour créer plus de fermes privées, à l’opposé de la collectivisation désastreuse de Staline. La cession des terres a commencé ce mois-ci en Extrême-Orient.
L’astucieuse stratégie des sanctions de l’Occident lui est revenue en plein visage. La Russie se tourne vers l’est et non plus vers l’ouest, et l’agriculture est une partie importante de ce virage.
F.William Engdhal
Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone