vendredi 8 avril 2016

L'UE et le gaz russe. Pipelines et pipedreams

Le hasard faisant bien les choses, une chimère se dit en anglais pipedream. Or, aucun mot ne peut mieux caractériser les pipelines proposés par les stratèges américains pour détourner l'Europe des hydrocarbures russes : de vrais mirages gazeux...

Nous avions brièvement parlé fin février d'une possible mais mystérieuse renaissance, au moins partielle, du South Stream. Mystérieuse car le projet, répondant au nom prédestiné de Poséidon, envisage d'alimenter en gaz russe la Grèce et l'Italie via un pays tiers, afin de contourner les embûches juridiques que l'UE place systématiquement devant ses propres intérêts pour complaire au maître américain. Un mémorandum a été signé en ce sens à Rome, le 24 février, entre Gazprom, Edison (Italie) et DEPA (Grèce), mais sans que l'on soit plus avancé sur l'identité de ce mystérieux pays tiers.
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Géographiquement, le tour des possibilités est vite fait et se réduit à deux - la Bulgarie et la Turquie. Examinons cela un peu plus en détail :
  • la Bulgarie. En succombant à la pression conjointe de Bruxelles et de Washington, le gouvernement bulgare avait fait une croix sur les lucratifs frais de transit du South Stream, le projet géant étant annulé par Poutine en personne en décembre 2014. On se souvient de l'énorme malaise que cela avait provoqué à Sofia et plus généralement dans les Balkans, dont les pays supportent de plus en plus mal la tutelle euro-atlantique. Or, si un accord a finalement été trouvé pour faire transiter le gaz russe à destination de la Grèce et de l'Italie via la Bulgarie, notre fameux Poséidon, cela signifie que le South Stream est finalement remis au goût du jour. Donc que l'UE en a fini avec ses tendances suicidaires... Rien n'est moins sûr ! (voir après)
  • la Turquie, et c'est très intéressant. Il semble hors de question pour Moscou de renouer avec Erdogan. Si la Turquie est choisie, cela signifie que le sultan a été "écarté" et que la matérialisation du projet se fera au moment d'un "changement de garde" à Ankara. Or, certains bruits commencent à courir selon lesquels un accord pourrait avoir été passé entre les Russes et l'état-major turc pour se débarrasser d'Erdogan. Insistons, ce ne sont pour l'instant que des rumeurs invérifiables, mais si un reporter aussi chevronné que Pepe Escobar évoque cette possibilité, il n'y a peut-être pas de fumée sans feu. Ce qui est sûr, c'est que la politique erratique du sultan commence à exaspérer tout le monde en Turquie, y compris l'establishment politique. Changement de régime à Ankara ? A suivre...
A peine le mémorandum d'entente trouvé entre Italiens, Grecs et Russes, les bureaucrates bruxellois (cornaqués par qui vous savez) contre-attaquaient en approuvant avec précipitation la construction du TAP ou Trans Adriatic Pipeline entre la Grèce et l'Italie, sensé amener du gaz azéri de la Caspienne jusqu'en Europe du sud. Extasions-nous devant le génie politique de nos petits eurocrates : alors qu'on cherche la petite bête à chaque proposition russe, usant d'invraisemblables arguties juridiques pour les rejeter, le TAP bénéficiera de grandes facilités fiscales pendant 25 ans. Ainsi, le gouvernement grec en faillite ne touchera aucune taxe sur le TAP pendant un quart de siècle ! Admirable...
Tout irait donc pour le mieux à Kafka City, pardon, à Bruxelles, s'il n'y avait un léger hic : il n'y a pas de gaz azéri.
L'article de William Engdahl (lien ci-dessus) ou celui-ci le confirment : l'Azerbaïdjan a tellement peu de gaz qu'il en est réduit à importer... du gaz russe ! Mais le fidèle lecteur de ce blog le sait déjà depuis longtemps. En juin de l'année dernière, par exemple, nous prévenions :
Que n'entend-on parler du gaz azerbaïdjanais, future panacée de la politique d'indépendance énergétique européenne... Nos dirigeants nous l'assurent, vrai de vrai, le gaz de la Caspienne viendra jusqu'au foyer de la ménagère du Vieux continent. Sauf que... Lu dans le très sérieux Natural Gas Europe :
Russia ready to provide Azerbaijan with gas
While Azerbaijan cut the gas delivery to Russia in 2015, the Russian state gas company says it is ready to provide Azerbaijan with natural gas. A source in Azerbaijan government told Natural Gas Europe on June 9th that Baku suspended gas delivery to Russia due to increasing of domestic gas consumption.
L'Azerbaïdjan a tellement de gaz à proposer à l'Europe [mode ironique] qu'ils sont maintenant eux aussi bien partis pour importer du gaz russe ! *
Cela fait un certain temps déjà que la guerre de propagande l'information touche particulièrement les revues/articles économiques. C'est somme toute assez logique : il s'agit d'influencer les décideurs.
* Pour être tout à fait honnête, il est vrai que l'Azerbaïdjan exporte un (tout petit) peu de gaz : 4 Mds de m3 par an. Mais comparons ça avec le seul Turk Stream proposé par les Russes : 63 Mds de m3 annuels. La consommation européenne annuelle est de 300 Mds m3. Bref, le gaz azerbaïdjanais, c'est de la roupie de sansonnet, un énième effet de manche médiatique, pitoyable cache-sexe d'une non politique énergétique européenne.
Voilà, nous y sommes. Depuis un an, l'Union atlantiste européenne n'a pas avancé d'un pouce et évolue toujours dans le merveilleux monde des pipedreams...

25 Mars 2016 , Rédigé par Observatus geopoliticus

Quant aux Tunisiens, ils n'ont pas besoin de pipedream, ils ont un "commandeur de la pipe"  comme chef d’État (Nom d'une pipe! D'où vient "Caïd Essebsi" ? )