jeudi 28 mai 2015

Le faux califat : l’atout stratégique des USA

Le "monde civilisé" verse d’immenses larmes de crocodile devant la prise de la perle du désert de l’ancienne Route de la Soie, Palmyre, par EIIS/EIIL/Da’ech.

Et pourtant… Ni le président des USA, Barack Obama, ni les 22 pays vassaux armés jusqu’aux dents faisant théoriquement partie de sa coalition de volontaires n’ont envoyé le moindre drone équipé de missiles Hellfire contre les brutes drapées de noir du faux califat.



Il est assurément justifié de dire que l’Occident civilisé préfère avoir affaire à un califat médiéval intolérant imbibé de wahhabisme qu’à un dictateur arabe séculaire qui refuse de se prosterner devant l’autel du néolibéralisme occidental.
Il est tout autant justifié d’ajouter que ceux qui arment les décapiteurs et coupeurs de gorges du Front al-Nosra, c’est-à-dire al-Qaïda en Syrie, ou de EIIS/EIIL/Da’ech, sont essentiellement des Saoudiens, qui constituent aussi les plus grands importateurs d’armes de la planète, qu’ils achètent surtout des USA, mais aussi de la France et du Royaume-Uni.
Voilà maintenant qu’un document déclassifié de l’US Defense Intelligence Agency (DIA) rédigé en août 2012, qui a fait le tour de tous les organes gouvernementaux dont CENTCOM, la CIA et le FBI et qu’a obtenu Judicial Watch (un cabinet juridique qui veille à l’intérêt du public), confirme enfin ce qui passe pour être la stratégie de Washington dans le Levant et la péninsule arabique.
C’est qu’au même titre que le proto al-Qaïda original financé par la CIA, qui a vu le jour dans les années 1980 à Peshawar, EIIS/EIIL/Da’ech, alias al-Qaïda 2.0, remplit un seul et unique objectif géopolitique.
Pour faire court, l’Occident civilisé, de pair avec des vassaux tels que la Turquie et les pétromonarchies du Conseil de coopération du Golfe (CCG), a soutenu la branche d’al-Qaïda en Syrie pour déstabiliser Damas, même si le Pentagone avait prévu l’issue horrible de cette stratégie, à savoir l’émergence de EIIS/EIIL/Da’ech (Brad Hoff fournit tous les détails dans un texte traduit par le Saker Francophone ici).
Pour le Pentagone, c’était tout de même un atout stratégique inestimable, qui devait être lâché dans la nature pour isoler le régime syrien.
Que le rapport de la DIA ne mentionne pas que le gouvernement des USA a créé de toutes pièces EIIS/EIIL/Da’ech ou qu’il favorise le Front al-Nosra en Syrie ou le faux califat en Irak est sans importance. L’élément essentiel, c’est que le gouvernement des USA n’a absolument rien fait pour empêcher la maison des Saoud, ses sbires du CCG et la Turquie de soutenir l’opposition syrienne et d’assouvir ainsi leur désir brûlant de faciliter l’émergence d’un État sécessionniste salafiste dans l’est de la Syrie et de l’autre côté de la frontière, en territoire irakien.



Aujourd’hui, tout observateur bien informé sait que la guerre contre la terreur du régime Cheney était une fraude. Il n’est donc pas surprenant que la destruction planifiée en cours en Syrak offre l’excuse parfaite au complexe militaro-industriel des USA pour tirer des milliards de dollars de la vente de plus d’armes encore à la maison des Saoud, aux autres sbires du CCG, à Israël et à l’Irak.
Cette convergence d’intérêts, géopolitiques dans le cas du Pentagone, commerciaux pour ce qui est du complexe militaro-industriel, entre parfaitement dans le scénario de la maison des Saoud, qui consiste à dicter la politique étrangère de l’administration évitons les conneries Obama au Levant et dans la péninsule arabique.
Les 22 États membres de la coalition d’Obama se réuniront à Paris au début juin. Le Pentagone devrait alors disposer d’un véritable plan relativement à EIIS/EIIL/Da’ech : soit qu’on tente le tout pour le tout pour l’annihiler (très peu probable), soit qu’on repousse toutes ces brutes vers le Caucase (assez probable). Le plus probable en fait, c’est que le bordel actuel va se perpétuer.

On ne peut rien cacher aux Russes

Le colonel-général Igor Sergoun, chef de la Direction générale des renseignements (GRU) de l’état-major des forces armées russes, parle rarement en public. Mais lorsqu’il le fait, les plaques tectoniques géopolitiques bougent.
L’analyse de Sergoun corrobore le rapport de la DIA à la perfection. Depuis maintenant des années, les services du renseignement militaire russes ont conclu (et le font maintenant savoir au public) que :
le
terrorisme islamique ainsi que "la guerre contre la terreur"
sont un outil de l’Occident utilisé pour détruire les pays souverains qui osent s’opposer à leur puissance hégémonique.
Comme nous le savons tous, il est évidemment beaucoup plus facile de subvertir et d’écraser la Libye ou la Syrie que la Russie ou la Chine (ou même l’Iran à vrai dire).
N’empêche que l’Empire du Chaos doit maintenant se dépatouiller pour faire face  (ou faire bonne figure) devant ce retour d’ascenseur généré par sa tactique de diviser pour mieux régner. En Irak, la chute de Ramadi donne un formidable élan à la portée stratégique, au recrutement et au financement de EIIS/EIIL/Da’ech, qui a fait passer l’équipe d’Obama-évitons les conneries pour de parfaits imbéciles.
D’autant plus que les USA n’étaient pas que de simples spectateurs dans cette débâcle. Ramadi est tombée parce que le gouvernement de Bagdad refusait d’armer les tribus sunnites de la province d’Al-Anbar. Le faux califat a attaqué la ville avec une flotte de 30 camions bourrés d’explosifs conduits par des kamikazes. Les membres des tribus qui la défendaient ont dû fuir pour éviter d’être massacrés par les brutes du califat.
Que faisait le Pentagone ? Rien, ce qui entre en contradiction avec les accusations trompeuses de son chef Ash Carter, qui a dit que les Irakiens manquaient de volonté à combattre. Le Pentagone n’a rien fait non plus à Tikrit, lorsque les États-uniens ont refusé de combattre le faux califat aux côtés de milices chiites dirigées par des officiers iraniens qui relevaient directement de Qasem Soleimani, la superstar de la Force Al-Qods.

Les lignes logistiques de État islamique


La capacité de combat d’EI/Daesh est celle d’une nation. Il contrôle de vastes territoires s’étendant de la Syrie à l’Irak. Il est non seulement capable de se défendre militairement et d’étendre son territoire, mais possède aussi les ressources nécessaires pour l’occuper, c’est-à-dire détenir les ressources suffisantes pour administrer les populations sous sa domination.
Pour les analystes militaires, spécialement ceux des forces armées occidentales, ainsi que les journalistes qui se souviennent des convois de camions nécessaires à l’invasion de l’Irak dans les années 1990, ainsi qu’en 2003, ceux-ci doivent surement se demander où sont les convois de camions de Daesh. Car, si les ressources nécessaires à entretenir les capacités de combat de Daesh étaient disponibles à l’intérieur des territoires syrien et irakien, alors les armées syrienne et irakienne devraient, elles aussi, posséder une capacité de combat au moins égale, si ce n’est supérieure à celle de Daesh. Ce n’est pourtant pas le cas.
 
Et si les voies logistiques d’EI n’étaient confinées qu’aux territoires syrien et irakien, alors les forces régulières de ces deux pays utiliseraient sûrement leur seul avantage, la puissance aérienne, pour couper les sources d’approvisionnement des djihadistes. Mais ce n’est pas le cas et pour une bonne raison.
Les armes et les terroristes inemployés à la suite de l’intervention de l’Otan en Libye, en 2011, furent rapidement envoyés en Syrie, opération coordonnée par le Département d’État américain et les agences de renseignement installées à Benghazi, berceau du terrorisme depuis des dizaines d’années.  
Les chaînes logistiques d’EI se trouvent justement là où les forces aériennes syriennes et irakiennes ne peuvent aller
- Au nord vers ce membre de l’Otan qu’est la Turquie et 
- au sud-ouest vers les pays alliés des États-Unis que sont la Jordanie et l’Arabie saoudite
- Au delà de ces frontières, le réseau logistique s’étend sur une région qui va de l’Europe orientale à l’Afrique du Nord.
Le London Telegraph a relaté dans un article de 2013 : «Selon CNN, une équipe de la CIA travaillait dans une annexe proche du consulat sur un projet pour envoyer les missiles provenant des tanks libyens aux rebelles syriens
Des armes sont arrivées d’Europe de l’Est, comme le montre l’article du New York Times de 2013 : «A partir de bureaux secrets, des officiers de la CIA ont aidé les gouvernements arabes à acheter des armes, dont un gros lot provenant de Croatie, et ont demandé aux commandants et groupes rebelles de déterminer qui doit les recevoir, selon des sources officielles parlant sous le couvert de l’anonymat.»
Et pendant que les médias occidentaux continuent de nommer EI et d’autres factions opérant sous le drapeau d’al-Qaida par le terme de rebelles ou opposition modérée, il est évident que si les milliards de dollars d’armes allaient vraiment aux modérés, alors EI serait bien incapable de dominer le champ de bataille.
Des révélations récentes ont montré que, dès 2012, le ministère de la Défense américain avait non seulement anticipé la création d’une principauté salafiste sur l’Irak et la Syrie, précisément là où se trouve EI maintenant, mais l’avait même appelée de tous ses vœux en favorisant les circonstances de son apparition.

Quelle élasticité pour les lignes logistiques de l’EI ?

Alors que beaucoup en Occident jouent les ignorants face à la question de savoir d’où viennent les fournitures qui permettent à EI de garder une telle capacité de combat, quelques journalistes ont voyagé dans la région et ont filmé les immenses convois de camions ravitaillant l’armée terroriste.
Ces camions venaient ils d’usines se situant sur les territoires irakiens et syriens saisis par EI ? Bien sur que non. Ils arrivaient de loin, de Turquie, traversant la frontière syrienne en toute impunité et continuaient leur chemin sous la protection implicite des forces militaires turques toutes proches. Les défenses aériennes turques ont empêché l’armée de l’air syrienne d’attaquer ces convois et les djihadistes passant avec.
La chaîne internationale allemande Deutsche Welle a publié la première vidéo réalisée par un média occidental montrant qu’EI n’est pas alimenté par le marché noir du pétrole ou par les rançons contre les otages, mais par des fournitures valant des milliards de dollars, acheminées en Syrie par la frontière de ce pays membre de l’Otan qu’est la Turquie, grâce à des convois de plusieurs centaines de camions par jour.
Le reportage, qui s’intitule La chaine d’approvisionnement d’EI à travers la Turquie, confirme ce qui a déjà été rapporté par certains analystes géopolitiques depuis début 2011, c’est-à-dire que les subventions dont bénéficie EI sont immenses, d’origines multinationales et étatiques, dont évidemment la Turquie elle-même.
En regardant une carte des territoires contrôlés par EI et en lisant les nouvelles de leur offensive à travers la région et même au delà, on imagine facilement que des centaines de camions par jour lui soient nécessaires pour conserver sa capacité de combat. On peut aussi imaginer d’autres convois traversant la frontière de l’Irak avec la Jordanie ou l’Arabie saoudite. D’autres encore peuvent entrer en Syrie venant de Jordanie.
Enfin, en considérant la réalité logistique et son importance capitale dans une campagne militaire tout au long de l’histoire, il n’y a pas d’autres explications possibles à la capacité d’EI à livrer une guerre de telle envergure sans que d’énormes ressources lui soient fournies de l’étranger.
Comme une armée marche sur son estomac et que l’estomac d’EI est plein de fourniture de l’Otan et des pays du Golfe, celle-ci devrait continuer à marcher vite et bien. La clef pour briser l’EI est de briser ses lignes de ravitaillement. Mais, pour cela, et justement parce que le conflit dure depuis si longtemps, la Syrie, l’Irak, l’Iran et d’autres auront à sécuriser leurs frontières pour forcer EI à combattre dans les zones turques, jordaniennes ou saoudiennes. Un scénario difficile à mettre en place car des pays comme la Turquie ont déjà créé de fait des zones tampons à l’intérieur même du territoire syrien, ce qui entraînerait la Syrie dans un conflit direct avec la Turquie si elle voulait y toucher.
Mais avec l’Iran qui se joint au bal en déployant des milliers de troupes pour renforcer l’armée syrienne, la Turquie pourrait prendre peur et abandonner ses zones tampons.
Le schéma actuel est donc celui d’une Otan tenant littéralement la région en otage avec la menace d’une guerre régionale catastrophique, juste pour entretenir le carnage perpétué par EI en Syrie, et l’alimentant grâce à un immense réseau logistique prenant sa source sur le territoire même de l’Otan.

Conclusion

La chute de Ramadi montre à l’évidence que la véritable puissance qui lutte contre EIIS/EIIL/Da’ech en Irak ce ne sont pas les USA, mais l’Iran. Les milices chiites sont d’ailleurs déjà en train d’être incorporées dans les forces de sécurité irakiennes.
Qu’importe ce qui arrivera à Washington dans un proche avenir, rien n’indique que le gouvernement des USA cessera un jour d’utiliser le terrorisme islamique comme atout stratégique.    


Sources : Pepe Escobar et Toni Cartalucci