lundi 26 janvier 2015

Géopolitique du pétrole : Le coup du lapin

Dans cet article, Dmitry Orlov établit les connexions entre le prix du pétrole, les attentats sous fausse bannière (avion malais, Charlie Hebdo, Boston, ...), "l'invasion de l'Allemagne et de l'Ukraine nazies" par les Soviétiques, etc., toutes ces tentatives menées par l'Empire AngloSioniste afin de freiner sa propre décrépitude. H.G.

Le coup du lapinAu cours de l’année 2014, les prix que paie le monde pour le pétrole brut ont dégringolé de 125 $ le baril à 45 $ aujourd’hui et pourraient facilement tomber encore plus bas avant de remonter très haut, de redégringoler et de reflamber ensuite à leur niveau maximum. Vous voyez l’idée.  À la fin, le marché de surenchère sauvage du pétrole et l’évolution encore plus sauvage et en dents de scie des marchés financiers et de ceux du cours des monnaies, en entraînant un déroulement de faillites de compagnies pétrolières suivies de celles des organismes qui les financent puis de celles des états qui soutenaient ces organismes, finiront, quand le temps sera venu, par provoquer l’effondrement des économies industrielles. Et sans économie industrielle en état de fonctionner, le pétrole brut sera reclassé déchet toxique. Mais ceci n’est à prévoir que pour dans deux ou trois décennies.
Entretemps, les prix beaucoup plus bas du pétrole brut auront expulsé du marché les producteurs de pétrole non conventionnel. Rappelez-vous que la production de pétrole conventionnel (celui, peu cher à produire, qui jaillit des puits verticaux forés pas trop bas dans la croûte terrestre) a atteint son apogée en 2005 et n’a pas cessé de décliner depuis. La production de pétrole non conventionnel (celui obtenu par des forages off-shore, des sables bitumineux ou la fracturation hydraulique du schiste et autres coûteuses techniques) a été financée avec prodigalité pour compenser la raréfaction en cours. Mais, actuellement, tous les pétroles non conventionnels coûtent plus cher à produire qu’ils ne peuvent se vendre. Cela signifie que des pays entiers – y compris le Venezuela, (dont le pétrole lourd doit être traité pour le rendre fluide), le Mexique et les USA (production off-shore du Golfe du Mexique), la Norvège et le Nigeria, celle à partir des sables bitumineux canadiens et, bien entendu, le pétrole de schiste US – sont en train de brûler de l’argent en même temps que le pétrole qu’ils produisent, et que, si la baisse du vrai pétrole persiste, ils devront fermer boutique.
Un problème additionnel est le taux d’épuisement très élevé des puits de pétrole par fracturation hydraulique des États–Unis. Actuellement les producteurs pompent à plein régime et battent sans cesse de nouveaux records de production, mais le taux de forage est, lui, en train de s’effondrer rapidement. Les puits de pétrole de schiste s’assèchent très vite. Le débit d’écoulement a diminué de moitié en quelques mois à peine et sera négligeable au bout de deux ans. La production ne peut se maintenir qu’à coups de forages intensifs, et ces forages intensifs viennent de s’arrêter. Il ne nous reste donc que quelques mois de surabondance. Après cela, toute la révolution du pétrole de schiste, dont des poupées de plage arrière à tête branlante pensaient qu’elle allait faire des USA une sorte de nouvelle Arabie Saoudite, sera finie. Le fait que la plupart des producteurs de pétrole de schiste, qui ont spéculé sauvagement sur les concessions de forage, vont faire faillite, ne fera rien pour améliorer les choses. Bien sûr, feront faillite aussi les compagnies d’exploration, de production et de services. Toute l’économie qui a surgi en quelques années comme un diable d’une boîte autour du pétrole de schiste, et qui a été à l’origine de la création d’emplois à hauts salaires, s’effondrera et provoquera en tombant une explosion du chômage.
Il vaut la peine de souligner que la marge excédentaire de pétrole qui a précipité cet effondrement des prix n’est pas grande. Tout a commencé quand l’Arabie Saoudite et les USA ont eu l’idée de pratiquer le dumping du pétrole brut sur le marché international pour en faire baisser le prix. La classe dirigeante US sait parfaitement que ses jours de plus grand producteur du monde sont comptés… en jours, peut-être en mois, pas en années. Elle se rend compte aussi de la gueule de bois économique qui résultera de l’effondrement de la production du pétrole de schiste. Les Canadiens, qui se rendent compte que l’aventure de leurs sables bitumineux touche à sa fin, veulent entrer dans le jeu.
Le jeu auquel ils jouent est un jeu d’à qui tiendra le coup*. Si tout le monde continue à pomper du pétrole sans s’occuper du prix, il se produira l’une de ces deux choses : soit le marché des producteurs de pétrole de schiste s’effondrera, soit les autres producteurs tomberont à court d’argent et leur production s’effondrera. La question est de savoir lequel de ces deux événements se produira en premier. Les États-Unis font le pari que la baisse des prix détruira les gouvernements des trois pays producteurs de pétrole qui ne sont pas sous leur contrôle politique ou militaire. Ces trois pays sont le Venezuela, l’Iran et, bien sûr, la Russie. Ce pari est risqué, mais les USA sont dans une situation désespérée : ils n’ont plus d’autre carte à jouer que celle-là. La conquête du Venezuela vaut-elle la chandelle ? Les tentatives précédentes d’y provoquer un changement de régime se sont soldées par un échec. Pourquoi celle-ci devrait-elle réussir ? L’Iran a appris à survivre en dépit des « sanctions » occidentales et maintient des relations commerciales avec la Chine, la Russie et un nombre non négligeable d’autres pays dans la foulée. Dans le cas de la Russie, on ne sait pas très bien encore quels fruits – s’il y en a – vont donner les politiques occidentales. Si, par exemple, la Grèce décidait de sortir de l’Union Européenne pour échapper aux contre-sanctions russes, il deviendrait de plus en plus difficile de savoir qui a sanctionné qui.
Bien entendu, renverser les gouvernements de ces trois pétro-états, les détruire économiquement en « privatisant » leurs ressources et pomper gratuitement leur pétrole en se servant d’une main d’œuvre étrangère sous-payée est exactement l’injection dans le bras dont les USA ont besoin pour se renflouer. Mais, si vous avez suivi l’histoire récente, vous savez que les États-Unis n’arrivent pas toujours à obtenir ce qu’ils veulent, et même, depuis quelque temps, n’obtiennent rien du tout. Quel gambit récent leur a rapporté ce qu’il était censé produire ? Hmm…
Ainsi donc, les jours passent et tous les producteurs de pétrole continuent de pomper à plein régime. Certains producteurs ont un « coussin » financier suffisant pour produire à perte, et ils le feront pour protéger leur part de marché. D’autres producteurs, qui ont englouti tous leurs fonds dans le forage des puits et pu rembourser leurs emprunts pendant que les prix du pétrole étaient assez hauts, peuvent continuer à pomper avec un certain bénéfice même aux prix les plus bas. Enfin, un certain nombre de producteurs (Russie en tête) pourront encore retirer un petit bénéfice de leur pétrole, même si le prix du baril descend jusqu’à 25-30 $ (moins les taxes et les droits de douane, cependant).
Chaque producteur a une raison légèrement différente de continuer à pomper à plein régime. On a beaucoup glosé sur la collusion entre les USA et l’Arabie Saoudite pour faire baisser le prix du brut. Mais le fait est que la théorie de la collusion peut être débitée en rondelles avec le rasoir d’Ockham puisqu’il fallait s’attendre à ce qu’ils fassent exactement ce qu’ils font, quand bien même ils ne se seraient pas concertés.
Les USA tentent un coup de poker désespéré contre un état producteur ou deux, ou trois, avant que leur pétrole de schiste ne soit à sec, avec les Canadiens, dont les sables bitumineux ne peuvent plus rien leur rapporter, attachés à leurs basques. Pour peu que ce coup ne réussisse pas, c’est l’extinction des feux pour l’Empire. Or, aucun de ses gambits récents n’a marché. « Donc, voici l’hiver de notre (impérial) déplaisir », et l’Empire en est réduit à se livrer à quelques pathétiques acrobaties, qui seraient très drôles si elles n’étaient sinistres. Prenez par exemple la récente déclaration, à Berlin, de la marionnette téléguidée depuis Washington qui sert de Premier ministre à l’Ukraine, Iatseniouk. Il résulte de ses propos que c’est l’URSS qui a envahi l’Allemagne nazie et non l’inverse. Nous arrivons au 70e anniversaire de la victoire soviétique sur l’Allemagne nazie. Il n’y a donc pas de meilleur moment pour faire… quoi exactement ? Les Russes en sont restés abasourdis. Mais les Allemands ont approuvé l’énormité sans battre un cil. Un point pour l’Empire.
Ou prenez la psy-ops de Charlie Hebdo à Paris, qui, pour quiconque est un peu attentif, rappelle sinistrement l’attentat à la bombe du marathon de Boston, il y a presque deux ans. Boston ne s’est pas encore débarrassée de tous ses grotesques stickers « Boston est forte » (non, Boston n’a pas été détruite par quelques pétards et quelques poches de faux sang pressées par des amputés de comédie jouant à avoir perdu une jambe). Et maintenant, voilà Paris festonnée de stickers « Je suis Charlie ». Tuer une poignée d’innocents fait évidemment partie du processus standard : un peu d’atrocités réelles aident à rendre la version « théorie du complot » impensable aux yeux de quiconque a le cerveau sous contrôle impérial, parce que, voyez-vous, « ce sont les bons » et « les bons » ne font pas ce genre de choses. Mais ce contrôle des cerveaux est en train de leur glisser entre les doigts, et il s’est même trouvé des chefs d’État – le Turc Erdogan, par exemple – pour déclarer publiquement que l’affaire était un coup monté. De façon similaire encore, les supposés auteurs de l’attentat ont été sommairement exécutés par la police, avant que quiconque ait pu savoir d’eux la moindre chose. Il est désormais tout à fait clair que les événements de ce genre sont concoctés par la même bande de troisièmes couteaux pas-si-créatifs-que-ça, dont on dirait qu’ils recyclent des Power-Points : delete Boston – insert Paris. Mais les Français ont défendu leur droit d’insulter les musulmans (et les chrétiens) avec impunité – avec la certitude cependant que ces droits leur seront ravis sous peu avec pas mal d’autres quand personne ne regardera – cependant, curieusement, pas les juifs ni les homosexuels qui comptent, parce que, là, c’est puni de peines de prison ferme. Encore un point pour l’Empire.
Prenez, tiens, l’avion malaisien MH17 abattu au-dessus de l’Ukraine orientale il y a quelques mois. Les officiels occidentaux et leur presse lige on aussitôt accusé « les rebelles soutenus par Poutine ». Quand les résultats de l’enquête ont pointé dans une tout autre direction, on en a fait des top-secrets d’État. Mais voilà maintenant que les Russes ont un déserteur ukrainien qui, témoignant sous protection, a révélé l’identité du pilote ukrainien qui a abattu l’avion de ligne avec un missile air-air tiré d’un jet de combat. Comme les rebelles n’ont pas d’aviation, un missile air-air était un projectile inhabituel pour l’aviation ukrainienne et n’a donc pu être chargé à bord du jet que pour cette unique mission. Ainsi, nous savons donc qui, comment et pourquoi, la seule question qui reste étant : pour qui. Les paris vont dans le sens d’un coup ordonné par Washington. Cette nouvelle a fait les gros titres en Russie, mais les médias occidentaux l’ont purement et simplement passée à l’as : pas un mot. Et quand l’histoire est évoquée, ils continuent à répéter leur mantra : « Poutine l’a fait ». Troisième point pour l’Empire.
Cependant, une poignée d’auto-aveuglés qui se grommellent des choses dans un coin sombre, pendant que le reste du monde les montre du doigt et se moque d’eux, ne font pas un empire. À ce niveau de prestation, je m’aventurerais à parier que rien de ce que l’empire va faire, désormais, ne lui donnera satisfaction.
L’Arabie Saoudite est, d’une manière générale, mécontente des USA, parce que les USA ont manqué à leur tâche d’assurer la police dans la région et de maintenir un couvercle solide sur la marmite. L’Afghanistan est devenu un Talibanistan ; l’Irak a cédé du territoire à l’ISIS et ne contrôle plus que les anciens royaumes de l’âge du bronze, Akkad et Sumer. La Libye est en état de guerre civile et l’Égypte a été « démocratisée » en dictature militaire. La Turquie (membre de l’OTAN et candidate à l’Union Européenne) commerce maintenant principalement avec la Russie ; la tentative de renversement d’Assad est en miettes ; les « partenaires » des USA au Yémen viennent juste d’être renversés par les milices chi’ites, et maintenant, il y a l’ISIS, initialement organisée et entraînée par les USA, qui menace de détruire la maison des Saoud. Ajoutez à cela que l’entreprise conjointe US-Saoudienne, qui visait à déstabiliser la Russie en fomentant le terrorisme dans le Caucase, a fait long feu. Elle n’a même pas été capable d’organiser le moindre attentat aux Jeux olympiques de Sotchi (le prince Bandar ben Sultan a perdu son poste, à la suite à ce fiasco). Et, donc, les Saoudiens sont en train de pomper à plein régime et pas tant pour aider les USA que pour d’autres raisons évidentes : pour éliminer les producteurs de pétroles à haut prix (dont les USA) et conserver leur part de marché. Ils sont aussi, bien sûr, assis sur une imposante réserve de dollars, dont ils veulent faire bon usage tant qu’ils valent encore quelque chose.
La Russie, pompe à sa capacité habituelle, parce qu’elle n’a vraiment aucune raison d’arrêter et des tas de raisons de continuer. La Russie est un producteur de pétrole à bas prix et peut attendre que les USA soient hors jeu. Elle est, elle aussi, assise sur un épais matelas de dollars, dont elle a également intérêt à se servir tant qu’ils valent encore quelque chose. Le capital le plus important de la Russie n’est pas son pétrole, c’est la patience de son peuple. Les Russes comprennent qu’il va leur falloir passer par des moments difficiles et s’efforcer de remplacer leurs importations en provenance de l’Ouest par de la production intérieure ou provenant d’autre sources. Ils peuvent se permettre de subir une perte. Ils la récupéreront quand les prix du pétrole remonteront.
Parce qu’ils remonteront. Le remède aux bas prix du pétrole est… le prix bas du pétrole. Passé un certain point, les producteurs de pétrole à haut prix arrêteront naturellement de produire, la production excédentaire sera brûlée et les prix remonteront. Non seulement ils remonteront, mais ils culmineront probablement, parce qu’un pays jonché de cadavres de compagnies pétrolières faillies ne va pas sauter sur ses pieds et se remettre à produire des quantités de pétrole, tandis que, par ailleurs, mis à part quelques usages de pétrole qui sont discrétionnaires, la demande n’est pas du tout élastique. Et une autre flambée des prix provoquera une autre série d’exigences de destruction, parce que les consommateurs, anéantis par les faillites et les pertes d’emplois consécutives à l’effondrement des champs pétrolifères, feront rapidement faillite à leur tour par suite de la hausse des prix. Ce qui provoquera une nouvelle dégringolade.
Et ainsi de suite, jusqu’à ce que meure le dernier industriel. La cause de sa mort sera diagnostiquée comme un « coup du lapin » : le « syndrome de l’industriel secoué » si vous voulez. Les prix du pétrole trop hauts puis trop bas en succession rapide lui auront brisé le cou. Quelques artisans récolteront un petit peu de pétrole de quelques vieux puits encore un peu suintants, le raffineront en se servant de pots d’argile chauffés au bois et s’en serviront pour faire rouler un très ancien corbillard, qui emmènera le dernier industriel de la planète au cimetière des industriels.
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* a game of chicken est le jeu où deux automobilistes lancés à fond de train sur une corniche étroite vers la collision frontale escomptent chacun que l’autre déviera à l’ultime seconde.
par Dmitry OrlovClub Orlov
20 janvier 2015
Source : http://cluborlov.blogspot.be/2015/01/whiplash.html
Traduction c.l. pour Les Grosses Orchades :
http://lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.skynetblogs….

Dmitry Orlov, né en 1962, est un ingénieur et écrivain russo-américain. Ses écrits ont pour sujet le déclin et l'effondrement économique, écologique et politique potentiel aux États-Unis. Wikipédia